Terra Nova, nr. 57, Montreal, 15 mai 2009

Mai 2009

L’imprévisible triomphe

Le volume d’essais de Mircea Gheorghe - une porte d’entrée des auteurs québécois en Roumanie

Felicia Mihali

Pendant une brève période de temps, Mircea Gheorghe a été collaborateur pour le magazine Terra Nova, ce qui allait de pair avec ses autres activités journalistiques. Toutefois, outre ces activités temporaires, sa grande passion et vocation est restée la lecture et la critique de livres, qu’il fait avec un rare professionnalisme. Ce printemps, une maison d’édition de Roumanie, Institutul european, a compilé en volume ses essais littéraires sous le titre Imprevizibilul triumf, (l’Imprévisible triomphe). Comme l’auteur l’a remarqué lors du lancement au Centre culturel roumain Constantin Brancusi de Montréal, ce livre est aussi un livre d’idées pas uniquement un recueil d’analyses littéraires.

Dans le petit mot d’introduction réalisé par l’auteur, ainsi que dans l’article signé, en roumain, par l’écrivain Florin Oncescu pour le magazine Terra Nova du mois d’avril, j’ai constaté qu’ils essayaient tous les deux d’établir un dénominateur commun entre les chroniques réunies ici. Il n’est pas facile, évidemment, de faire côtoyer dans un même livre des auteurs français, québécois et roumains, appartenant à des époques et courants littéraires différents, de parler en même temps de Milan Kundera, Nina Berberova, Andrei Makine, de Gil Courtemanche, Yann Martel, Jacques Godbout, ainsi que de Monica Lovinescu ou Andrei Pleşu. En ce qui me concerne, je dirais que ce qui unit les articles signés par Mircea Gheorghe est la valeur incontestable, ou en train d’être établie, des auteurs et des livres soumis à l’analyse. De ce point de vue, Imprevizibilul trium a le rôle d’une histoire littéraire, cet espace privilégié consenti par l’académie où se place tout ce qui reste d’une culture et qui s’inscrit, en même temps, dans le patrimoine de la culture universelle. Le genre de critique pratiquée par Mircea n’est pas nécessairement ce qui fait vendre un livre, mais plutôt qui impose un livre, chronique à laquelle aspire tout auteur. C’est le genre de chronique presque exhaustive qui touche tous les points vitaux d’une œuvre. Évidemment, des études approfondies peuvent trouver d’autres points de référence dans une œuvre, mais le mérite de Mircea Gheorghe est d’en révéler l’essentiel.

Nous vivons à une époque où la publication des livres connait une frénésie et un rythme inégalables, ce qui est tout à fait prévisible dans ce siècle de la globalisation économique et de la démocratisation de la culture, ce qui aussi a le don d’effrayer tant les auteurs que les éditeurs et les libraires. Tout le monde essaie d’être à jour avec tout, de lire des auteurs à la mode, de savoir quel courant littéraire tire à sa fin et lequel est en train de naître. La critique journalistique essaie de faire un travail honnête afin de signaler les nouvelles parutions, mais elle se réduit parfois à la valeur commerciale du produit. Tant de fois, vous lisez à la fin de la chronique une note qui vous conseille d’acheter le livre ou, du moins, de le mettre en réserve à la bibliothèque. Maintes fois, une telle lecture faite par des chroniqueurs plus ou moins avisés pour les rubriques de culture des quotidiens de grand tirage risque de brouiller les pistes, de consacrer des auteurs qui deviendront mineurs dans un court laps de temps.

La chronique de livre pratiquée par Mircea s’oppose à de tels jugements précipités, soumis à la fluctuation des modes et des tendances. Je pense que n’importe quel auteur désire secrètement tomber dans les mains expertes d’un tel critique. Finalement, même si la chronique n’est pas entièrement positive, le fait d’avoir été sélectionné pour analyse est déjà un grand privilège.

Je voulais aussi faire remarquer que le livre de Mircea Gheorghe, publié en Roumanie, représente aussi une porte d’entrée pour un grand nombre d’auteurs québécois qui auraient dû être traduits en roumain depuis longtemps.